vrMélo Un regard innovant

Mélo, l’aventurier nocturne

Selon Charles Baudelaire, les vrais voyageurs sont « ceux-là seuls qui partent.

Pour partir, cœurs légers, semblables aux ballons,

De leur fatalité jamais ils ne s’écartent,

Et, sans savoir pourquoi, disent toujours : Allons !».

Lorsque vous entreprenez un tel voyage, conscient du danger et surtout la nuit, vous n’êtes plus un voyageur, mais un aventurier. Cela fait donc 8 ans que je devins aventurier, le temps d’une nuit. L’expérience était belle en son temps, même si ma conscience la prend comme une connerie aujourd’hui. N’empêche, l’expérience était osée, belle et préjudiciable.

La ville sans saveur

2014. Pobè. Après des mois passés au village, je décidai finalement de rentrer à Calavi pour reprendre les cours. Le temps de faire quelques visites à Pobè, je reçus le message que la grève n’était pas encore à son terme. Le décès d’un étudiant venait de redistribuer les cartes : la partie devenait envenimée.

Il n’était donc pas question de prendre la route, d’aller braver la faim et les aléas de la vie estudiantine. Retourner au village, ce n’était pas une option. En tout cas, pas de si tôt. En pleine année scolaire, difficile de trouver avec qui passer ses temps morts. Je décidai donc de prolonger mon séjour à Pobè.

Trois jours sont passés : entre les salles de jeux, football, Mortal Kombat, quelques sollicitations aux cyber et quelques visites, les journées à attendre se suivaient et se ressemblaient. Le troisième jour, le comble. Une coupure électrique venait plonger la ville dans une obscurité opaque. Mon smartphone était déchargé. Toute la maison était dans le noir. Pour loisir, Snake Xenzia, sur mon Nokia 1280. À ma montre, 23h approchait. Je sortis au portail, toutes les boutiques étaient fermées. Je marchai vers l’église et une voie que je crus divine m’illumina l’esprit : rentre au village.

Le départ pour le village

Voix de mort ou de vivant, je ne cherchai pas à savoir. De pas alertes, je rentrai, fis mon sac en deux temps trois secondes, ferma la porte et sortis sur la voie principale. Je marchais vers le CEG1 lorsqu’un bus de NOCIBE s’arrêta devant moi. Le vieux chauffeur me fit signe :

  • Hey Phil, tu es en retard. Tu vas travailler ce soir, non ?
  • Bonsoir Papa. Non, j’ai arrêté. Je te serais bien reconnaissant, toutefois, si tu me déposais à Onigbolo.

D’un rire enjoué, il me fit la main de monter. Ce que je fis sans coup férir.

  • Un jour, tu devras arrêter tes jeux de mots et aller droit au but.
  • C’est promis, papa. Je me devais de faire honneur à qui m’a fait savoir que l’école était aussi sanctuaire que la chapelle.
  • D’accord. Tant que tu te comprends, rendons gloire à Dieu.
  • Alléluia ! firent les travailleurs à bord du bus et qui se rendaient à la cimenterie.
Mélo marche dans la nuit

La nuit avait totalement imposé sa domination sur la cité de calcaire, lorsque je descendis du bus. Je saluai le chauffeur et considérai le chemin qui me restait à parcourir : 8 km, une voie rocailleuse bordée par la brousse. Plus aucun taxi n’était là. Fallait-il se décourager d’avoir pris le chemin ? Non ! Et je dis : allons.

Le lieu du tam-tam : nom littéral de la rivière

C’était quand même 8 km, à travers la brousse, 4 rivières à franchir pour gagner la maison. Mais la place n’était pas à la peur, bien que je connaissais l’histoire étrange des rivières, la nuit en plus. Et je m’en fus, plus courageux que jamais, sac au dos. Chemise et pantalon. Basket et casquette. Advienne que pourra !

Alors que je m’approchai de la première rivière, son histoire me revint à l’esprit. Selon la légende, le nom de ce cours d’eau provient de son caractère singulier. Lorsqu’il doit reprendre son cours, le premier courant d’eau qui vient est souvent accompagné d’un concert de tambours de toutes sortes.

Mais nul ne sait d’où proviennent ces sons et qui jouaient ces tambours. Je n’avais pas peur, je souriais, mais ne montrais point les dents. Vide d’émotion.

rivière à la lune

Je passai, sans problème. Seules les lucioles chantaient dans la nuit. Je continuai ma route. Premier village, personne n’était en éveil. Je le traversai et suivais le chemin sans dévier. Mes pas me portaient vers ma demeure.

Sacrifices propitiatoires

Deuxième rivière. Je connaissais son histoire et la preuve se dessinait devant moi. C’était le lieu privilégié pour des sacrifices et autres rites propitiatoires. Ma montre affichait moins d’une heure. Je vis alors un cortège sorti, au loin, de la brousse. Il était près de cinq individus, ceinturés de pagnes blancs. Le cortège s’ébranla en direction de la rivière. Ma décision était rapidement prise : il ne fallait pas rebrousser chemin où j’allais m’attirer des ennuis. Je pris alors mon courage et continuai ma route, sans mot dire, sans modifier la vitesse de mes pas ni changer ma contenance. Eux aussi n’avaient daigné arrêter leurs rites. Ils étaient désormais en cercle et récitaient des incantations. Je les dépassai sans mot ni regard en leur direction.

Entrée au village

Deuxième village, troisième village et quatrième village, le village natal de ma mère. Je passai le cinquième village et marchais en direction de la troisième rivière, lorsqu’un cri strident déchira le silence de la nuit. Ses échos se répandirent au loin.

Il ne fallait pas s’en faire. Une heure était passée. C’était sans doute l’œuvre du pandémonium. J’étais préparé à l’éventualité. S’ils venaient à me chercher noise, pourvu qu’ils ne restent pas dans l’invisible. Qu’ils se montrent à moi et on pourra se défier. Les armes ne manquaient pas : je peux prier et ordonner. Ce serait le lieu d’inviter le bon Dieu à faire des miracles. Sinon, je n’avais vraiment rien à craindre : fils de prédicateur, petit-fils de prêtre du Fâ, petit-fils d’Iroko, la bataille ne devait pas être aussi facile pour eux. J’ai une armée derrière.

Mélo dans la nuit à la lune

J’étais dans mon monde, à passer en revue mes forces et mon armée, lorsque je dépassai le premier collège. Me voilà en direction de la quatrième et dernière rivière. Celle qui a donné son nom à mon village. Là, rien d’impur. C’est une rivière aux eaux limpides. Je la franchis calmement et entrai au village. Je sentais le chemin de croix à son terme. En fait, même si aucune émotion ne se lisait sur mon visage, la peur s’était informée dans mon ventre, mais ne paralysait pas mes membres.

Quelques pas de plus et une torche me piqua les yeux.

  • Qui va là ?
  • Tu es qui toi ?
  • Ah oui ? C’est Lègba !

Je le reconnus aussitôt. Quand bien même il avait le même nom que Satan, c’était un dignitaire. Chef de la police du culte Oro.

  • Désolé, c’est moi.
  • Oui, mais toi qui ?
  • C’est moi, fils du vieux prédicateur.
  • Le petit frère de Ayinla ?
  • Oui, lui dis-je. Il s’était retiré dans la nuit et je ne percevais que sa voie.
  • Toi, tu t’appelles comment, me demanda-t-il ?
  • Désolé, Ayinla m’a interdit de donner mon nom aux voies. Le diable lui-même peut s’en servir.

Il ricana et sortit de sa retraite, torse nu.

  • Dis-moi ton nom à présent !
  • Ojuoyé, lui dis-je.
  • Tu mens, me répondit-il. Mais je te laisse passer, car c’est le nom du vieux. Personne ne le connaît s’il n’est proche de lui.
  • Merci, lui dis-je et m’en fus.

Lorsque j’arrivai devant notre maison, deux heures étaient passées. Je savais que c’était peine perdue d’aller frapper à la fenêtre de mon frère qui était en séjour à la maison. Jamais il ne troque son sommeil contre quoi que ce soit. Ou alors, il devenait Sherlock Holmes, à la recherche de toutes sortes d’indices, avec des questions éliminatoires.

Rencontre avec ma mère

La seule personne qui pouvait m’ouvrir, c’était ma mère. J’allai donc frapper à sa fenêtre et je ne frappai pas deux fois.

  •  C’est qui ?
  • C’est un revenant !
  • Quoi ? fit-elle. Elle avait reconnu la voix. Tu sors d’où à cette heure-ci ?

Je l’entendis se lever pour ouvrir la porte. La lumière de sa lanterne et son regard inquisiteur rencontrèrent mon visage souriant.

  • Holà, petit ! Tu joues à quoi ? Pourquoi ne pouvais-tu pas appeler ? Et qu’as-tu fait jusqu’à l’heure-ci ?
Mélo avec une lampe

Sans obtenir de réponse, elle vint palper mes joues, comme pour s’assurer que c’est bien moi.

  • Allez, rentre.
  • Bon, la grève continue sur le campus. Rien d’intéressant à la maison là-bas, en ville. Et il y a coupure. J’ai donc décidé de rentrer au village.
  • Et pourquoi c’est à l’heure là que tu es rentré ? Sa voix avait baissé de tonalité.
  • L’idée m’est venue tard. Je n’avais plus trouvé de taxi.
  • Tu as donc marché ?
  • Oui !
  • Mon Dieu. Décidément, c’est toi qui vas me précipiter dans la tombe avec tes risques inutiles.

Et moi, je souriais. Croyant avoir réalisé un exploit.

  • Tu veux manger ?
  • Oui, mère. Qu’avez-vous préparé ?
  • De la sauce graine aux escargots.
  • C’est la meilleure manière d’accueillir un voyageur, lui dis-je. Je lui serrai la main et lui demandai de ne pas se gêner, que je me servirais, moi-même.

Et là, à sa lumière, je mangeais avec alacrité, sous son regard qui se posait mille questions. Quand je finis. Elle m’informa que le vieux avait rapporté du vin de palme, si je veux bien en prendre. J’allai me servir et la remerciai pour l’hospitalité.

  • Bonne nuit, dit-elle.

J’allai me coucher et le sommeil ne tarda pas à venir.

Le lendemain matin, j’entendis sa voix qui demandait à ma petite nièce d’aller frapper à ma porte pour s’assurer que c’est bien moi. J’entendis alors ses pas qui venaient.

  • Pas la peine de venir ici. C’est bien moi. Je sortis. Il était 11h.

Aujourd’hui, je ne pense plus avoir réalisé un exploit, mais une connerie. Belle est l’aventure, mais risqué était le parcours. J’ai vu beaucoup plus que j’en ai dit !

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Philippe Mélo

Chasseur aguerri du web et couturier affirmé des mots, je suis le fruit béni d'un héritage énorme. Je suis le fils d'un génie, je suis le fils d'un homme.

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